L'Homme à la conquête de Mars
Image : © Mars Pathfinder Mission Status
II – Une réalisation compliquée
Cependant, et c’est triste de l’admettre, ce projet ne pourrait sans doute jamais aboutir. Il est au cœur de nombreux enjeux, impliquant tout projet de cette envergure. Mars One sera utilisé comme exemple pour démontrer les difficultés de la conquête spatiale en générale au XXIème siècle.
En premier lieu, se pose l’éternel problème des ressources financières. On a vu dans la première partie que les sources de financement sont diverses, mais seront-elles suffisantes pour réunir les six à dix milliards de dollars nécessaires à l’envoi des premiers colons ? Et, alors, trouveront-ils assez d’argent pour envoyer une deuxième mission, une troisième, ainsi que des cargos de ravitaillement et de matériel… Cette grande épopée pourrait se terminer comme un "Seul sur Mars", mais cette fois il n’y aura aucune équipe supportée par la Terre entière pour secourir Matt Damon. Ce besoin de financement est très vite mis en évidence rien qu’en allant sur le site officiel. On trouve de nombreuses exhortes aux dons, cliquer sur l’endroit où donner pour le projet est très facile depuis la majeure partie des pages du site ; le formulaire de soutien à compléter en ligne est quasiment pré-rempli. De plus, Mars One attribue aux entreprises qui les soutiennent une sorte de « classement » en fonction du montant des dons. Des entreprises telles que Sonic voyage ou Byte sont ainsi classées « silver », nextiva ou spacelife en « bronze ». On peut supputer l’existence d’une catégorie « gold », qui ne comporte pour le moment aucun adhérent. Ces différents exemples montrent la politique quasi « agressive » de la fondation pour obtenir un financement.
Cela s’accompagne d’un système qu’on pourrait trouver encore plus pernicieux : Mars One fait payer ses candidats. Plus exactement, un ancien finaliste, le docteur Joseph Roche, a révélé que le processus de sélection des potentiels futurs colons – qui partiront en 2027 -, se faisait sur un système de points que l’on pouvait acquérir d’une part, et c’est normal, en obtenant les meilleurs scores à l’entraînement, et d’autres part en achetant des produits mars one ou en donnant directement de l’argent à la fondation. Cette annonce a déclenché une polémique, en effet, cela laissait entendre que les astronautes seraient choisis pour leur compte en banque plus que pour leur valeur effective. Si l’on ajoute à cela le projet de télé-réalité, l’affaire a de quoi laisser de la fondation une image de grippe-sous, prêts à tout pour obtenir l’argent qui leur est nécessaire. Economiquement, on peut comprendre qu’un projet aussi coûteux nécessite d’exploiter toutes les sources économiques, mais d’un point de vue de la communication, cela peut entacher l’image de rêveurs passionnés par la conquête spatiale que le site ou les publicités veulent donner. Le problème de l’argent est donc intrinsèquement lié à celui de l’intérêt du grand public pour la découverte de nouveaux horizons extra-terrestres, et sa volonté de supporter les organismes de ce domaine.
Se pose alors un problème majeur : les habitants de notre planète (et a fortiori ceux qui ont les moyens d’investir dans un projet spatial) ont-ils toujours le goût de la découverte de nouvelles planètes ? Pour tenter de répondre à cette question, nous nous sommes inspirés de la série « Nous n’irons pas dans l’espace » du vidéaste DirtyBiology et avons étudié son raisonnement sur l’intérêt des hommes pour les voyages hors de l’atmosphère terrestre. Il met en avant que la conquête spatiale a eu son apogée dans les années 1960, avec notamment Apollo 11. En pleine guerre froide, la course à l’espace entre la Russie et les USA a permis un extraordinaire engouement des Européens, Russes et Américains pour les nouveaux horizons stellaires. Les premiers pas de Neil Armstrong en 1969 sur la Lune sont un évènement mondial, la NASA a un budget faramineux et beaucoup rêvent, bercés dans une culture de l’espace très abondante à l’époque, de pouvoir passer un jour leurs vacances en apesanteur. Ces années riches en innovations font aussi suite à l’âge d’or de la science-fiction, dans les années 1930-1950. On ne compte pas le nombre de films des années 1960-70 –aujourd’hui démodés– ayant voulu créer de manière plus ou moins plausible les mystères d’une planète inconnue ou les péripéties d’un vaisseau spatial et de ses courageux occupants ; une vie ne suffirait pas à lire la masse incroyable de livres traitant d’aventures cosmiques. Cependant, les temps changent et ainsi que les préoccupations. Notre culture a migré vers d’autres thèmes (bien que celui de la conquête spatiale reste très présent, il suffit de voir les succès d’Interstellar, de "Gravity" ou de "Seul sur Mars") et, même si le besoin éternellement ancré de l’Homme pour la conquête de nouveaux horizons persiste, il paraît beaucoup moins ténu qu'il y a cinquante ans. Demandez à une personne lambda de citer les grands projets spatiaux contemporains, vous ne serez pas sûr d’obtenir une réponse exacte. Parmi les huit personnes que nous avons interrogées afin de réaliser un petit sondage vidéo, une seule avait entendu parler du projet Mars One, et ceux qui ne connaissaient pas même son existence ne semblaient pas très au fait de ce qu’était l’avancement actuel des technologies spatiales. L’échantillon est cependant de toute évidence trop peu important pour être considéré comme représentatif, mais peut donner une idée de l’intérêt actuel des gens pour les projets comme Mars One.
Une autre information que nous apportent ces interviews est que les projets de conquêtes spatiales, tous très coûteux, doivent faire face à l’émergence d’autres grands enjeux mondiaux qui étaient moins d’actualité en 1969, comme le réchauffement climatique, la préservation des ressources naturelles ou la croissance démographique démentielle. Les interrogés évoquent en majorité l’idée que sauver notre Terre est, dans l’ordre des priorités, bien plus important, et qu’il préfèreraient, au choix, s’engager dans des projets plus concrets, indispensables et avec un facteur de risque d’échec moins important : l’écologie, la lutte contre les écarts de richesse… Certes, on peut avancer l’idée que la colonisation d’une nouvelle planète pourrait, sur le très long terme, permettre d’avoir une « nouvelle Terre » et de nouvelles ressources (qu’on ne gaspillerait pas cette fois-ci), mais ce projet semble présenter beaucoup trop de risques actuellement pour espérer vraiment voir apparaître des résultats à très long terme, quand les ressources fossiles (pétrole, charbon, uranium…) de notre planète risquent de voir leur fin arriver entre 2050 et 2100. Les grands projets spatiaux vont donc se heurter dans les choix de financement aux enjeux de la pauvreté, du climat et de l’écologie (surtout qu’un lanceur Ariane V doit être loin d’avoir une empreinte carbone négative).
Ensuite, il faut se poser une question plus globale : qu’irions-nous faire sur Mars ? Ce serait une prouesse scientifique sans aucun doute, mais, si elle implique des sacrifices trop importants, vaudrait-t-elle vraiment le coup ? On pourrait avancer le sujet de ces TPE -la colonisation à long terme de Mars, mais cela prendrait, nous le verrons dans la deuxième partie, des générations avant que la planète ne devienne habitable grâce à l’Homme. Or, l’être humain a du mal à se projeter plus loin dans le temps que sa propre existence, comment peut-on lui demander d’investir pour un projet dont aucun des membres de sa famille, ne serait-ce que le plus jeune, n’a une chance de connaître l’aboutissement ? Un projet d’une telle envergure fait bien évidemment rêver, mais l’Humanité sera-t-elle vraiment prête à se jeter dans quelque chose d’aussi fou ? On peut aussi imaginer que la planète serait le siège d’une sorte de « tourisme extra-terrestre » pour milliardaires, comme certains projets de grandes entreprises envisagent de le faire en orbite autour de la Terre ou sur la Lune. Mais ces idées semblent bien irréalistes, en raison d’une part du coût très peu abordable des billets (à quelques centaines de millions de dollars pour le voyage aller, plus les frais d’installation d’un « hôtel » martien, plus le billet retour) et du temps du voyage (qui dépendra de l’avancement des technologies). Si l’on ajoute les risques potentiels inhérents à toute expédition spatiale et la forme physique qu’il faut avoir pour supporter le voyage, on doute qu’il existe sur Terre un seul client potentiel.
Enfin, il reste tout le problème technologique qui pourrait empêcher – et ça de manière radicale – la viabilité du projet. Si les scientifiques de Mars One martèlent que les technologies actuelles sont suffisantes pour commencer une colonie martienne, de très nombreux autres scientifiques extérieurs au projet le démentent –ou du moins le remettent en question. L’enjeu technique ne s’arrête pas à là : en effet, ce n’est pas tout d’avoir le bon matériel, encore faut-il qu’il fonctionne impeccablement. Dans une mission spatiale où tout est calculé en prenant en compte tous les paramètres possibles et imaginables, un petit bug qui se glisse dans l’ordinateur, une faille non détectée sur le lanceur ou un phénomène physique imprévu sont autant de petites erreurs qui peuvent détruire des centaines de millions d’investissement. Sans parler qu’il est beaucoup plus dur de convaincre ses sponsors de réinjecter de l’argent après cela quand on est une fondation (les institutions gouvernementales ont un peu plus de latitude : NASA…).
Ainsi, le projet Mars One pourrait bien pour toutes ces raisons ne rester que le rêve de quelques passionnés de conquête spatiale, et, a fortiori, la planète rouge pourrait bien rester exempte de traces humaines avant bien longtemps. Cependant, le ton peut tout de même être à l’optimisme. Si Mars One réussissait les premières étapes, évoquées dans la précédente partie, de son ambitieux projet, cela pourrait ressusciter l’engouement enterré mais toujours présent pour l’exploration des nouveaux horizons planétaires ; et si – improbable, mais possible ! – l’homme foulait du pied Mars comme il avait bondi sur la Lune cinquante-huit ans avant, nous aurions alors peut-être la chance de revivre ces périodes d’intense activité spatiale où Mars était un Eldorado d’or rouge.
Voici le lien d'une vidéo de Dirty Biology très intéressante sur les intérêts que pourrait avoir ou non l'Homme à aller dans l'espace : https://www.youtube.com/watch?v=noADnHKyRmc